Rencontres scientifiques universitaires Sherbrooke-Montpellier 2024 - Université de Sherbrooke, 19 au 21 juin 2024

Regards croisés sur le changement linguistique

1. Contextualisation

Les transformations qui ont eu lieu dans l’évolution du latin populaire au français contemporain, dans toute sa diversité géographique, sociale et stylistique actuelle, montrent à quel point le changement est un phénomène linguistique central aux plans lexical, sémantique, morphologique, syntaxique et phonético-phonologique (Baldinger 1989 ; Marchello-Nizia 2007 ; Heine 2002 ; Bybee 2015 ; Marchello-Nizia et al 2020; Gadet 2021).
Les sources du changement sont multiples. De manière traditionnelle, on distingue tout d’abord les causes dites « externes », en raison par exemple d’un alignement sur une norme socialement valorisée et les causes dites « internes », résultant de réaménagements au sein des systèmes linguistiques (Labov 1994, 2001, 2010). Ces deux types de causes ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent interagir. À titre d’exemple, il existe en France, pays fortement centralisé où Paris représente le principal pôle d’attraction linguistique, un phénomène de nivellement qui se caractérise par l’abandon de traits caractéristiques d’une variété régionale en faveur de traits supralocaux, en l’occurrence les traits du français parisien (Lodge 1993 ; Armstrong & Pooley 2010 ; Pipe 2014 ; Courdès-Murphy 2018 ; Pipe 2014).
Un moteur important du changement est l’émergence d’innovations. Les innovations ne sont pas toutes sur le même plan : certaines sont quasi-imperceptibles en synchronie, par exemple dans le domaine de la syntaxe, alors que d’autres sont plus facilement repérables, comme dans le domaine lexical. En outre, les innovations ne deviennent pas forcément des changements à moyen et à long termes (Steuckardt à paraître). Certaines disparaissent en quelques années, une fois les effets de modes passés (Siouffi 2016).
Au cours des dernières décennies, l’essor des corpus, notamment oraux, et le développement d’outils et de méthodes d’analyse facilitant leur exploitation, ont contribué à mieux cerner divers aspects du changement linguistique pour des phénomènes aussi divers que l’alternance entre futur simple et futur périphrastique (Abouda & Skrovec 2017), la pragmaticalisation des noms mec/man en tant que marqueurs discursifs (Cappeau & Schnedecker 2021) ou encore la réalisation de la liaison (Durand & Lyche 2008). Dans le domaine de la morphologie, l’approche dite « extensive », qui repose sur la récolte de données massives issues du web, a par exemple permis de montrer la productivité de suffixes tels que -esque et -able, au-delà des structures canoniques auxquelles ces suffixes sont traditionnellement associés (Hathout et al. 2008).
D’un point de vue diachronique, une cause importante du changement est le processus de réanalyse (Béguelin et al. 2014, Combettes 2014), qui consiste en la réinterprétation d’une structure potentiellement ambiguë. Ainsi, sur le plan lexico-syntaxique, la formation de locutions conjonctives ou leur acquisition de nouveaux sens (dans le cas de locutions déjà existantes) reposerait, pour plusieurs, sur une réanalyse induite par des contextes où deux interprétations seraient possibles. Par exemple, la séquence syntaxiquement régie du fait que aurait conduit à l’émergence de la locution conjonctive circonstancielle (morphologiquement identique) au début du XXe siècle, en raison d’une réanalyse induite par des contextes se prêtant à double interprétation (une même occurrence de du fait que pouvant être interprétée, soit comme constituant régi, soit comme locution circonstancielle, Marchello-Nizia et al 2020, p. 1384). Sur le plan phonique, la réanalyse prend sa source dans des phénomènes articulatoires et/ou perceptifs : ainsi, l’introduction d’une nouvelle variante dorsale du /R/ au Québec semble avoir conduit à une restructuration partielle de l’inventaire des voyelles pré-rhotiques dans cette variété de français (Saint-Amant Lamy 2022).
Prise dans son ensemble, la problématique du changement linguistique, qui est intimement liée à celle de la variation, soulève inéluctablement la question de la (ou des ?) norme(s) à utiliser comme référence dans le contexte de l’enseignement du français langue seconde/étrangère (Detey 2010, 2017). Elle amène également à s’interroger sur le rôle que peuvent jouer les innovations pédagogiques récentes telles que l’apprentissage guidé par les données (data driven learning) (Boulton & Tyne 2013) dans l’appropriation du changement linguistique et de la variation par les apprenants.

 

2. Appel à communications

Nous sollicitons des contributions traitant du changement linguistique en français, dans toutes les disciplines des sciences du langage. Ces contributions peuvent être de nature empirique, théorique, méthodologique ou épistémologique. Les contributions qui abordent l’un ou plusieurs des aspects suivants sont particulièrement bienvenues, bien que cette liste ne soit en aucun cas limitative :